« La fabrique est fermée »
Pourquoi ai-je toujours cette réponse lorsque je demande à voir la distillerie de santal du gouvernement ? Déjà il y a 11 ans, j’avais été découragée, amenée dans des boutiques à touristes, avant de tomber sur un chauffeur de tuc tuc qui accepte de m’y conduire. 2017, même cirque ! « Je veux bien vous conduire devant le bâtiment mais c’est fermé depuis longtemps... » nous annonce le chauffeur.
« Ok ». Il faut toujours insister… La manufacture est toujours là, elle fête son 100ème anniversaire (très discrètement). En effet, la distillerie de Bengalore date de 1916 et celle de Mysore a été inaugurée en 1917. Elle a même été repeinte depuis la dernière fois que je suis venue. Mais le mystère autour de ce lieu reste intact. Le responsable accepte de nous faire la visite. Il faut laisser sa pièce d’identité, ranger appareil photo et téléphone, à mon grand regret : vous ne verrez rien du charme désuet que dégage l’endroit.
La guérite franchie, une incroyable odeur de santal nous attire irrémédiablement dans le bâtiment. J’y rentre comme dans un temple. L’usine est calme comme la première fois, je m’étais d’ailleurs demandé si elle n’était pas désaffectée. L’homme qui nous sert de guide nous explique quelques bribes du processus. Le bois est d’abord broyé avec un outil assez archaïque qui permet de concasser le bois avec un poids en fer. Il passera ensuite plusieurs transformations pour être réduit en copeaux et en poudre. Un nuage de poussière boisée flotte. Hum, remplir ses bronches de santal…
La distillerie se situe dans un autre bâtiment, derrière un immense stock de bois, « trop immatures pour être distillés », nous précise notre guide, « ils serviront pour les crémations ». Une autre utilisation du santal… Dans la médecine ayurvédique, le précieux bois sert à calmer l’anxiété. Partir en santal… N’est-ce pas une garantie de quitter ce monde sereinement?
Huit cuves de 2000 kg sont sagement alignées et attendent la précieuse poudre. Une seule est en route, (les autres le sont-elles parfois ?). Le lieu semble davantage appartenir aux chiens errants. Seul le parfum témoigne d’une activité : noix, caramel, vanille, crème de lait, spiritueux, le santal distillé de Mysore dégage de nombreux arômes cuits et gourmands. L’huile séparée sera alors purifiée avant d’être vendue. Le reste des copeaux de bois partiront en fumée, mais cette fois sous forme d’encens.
Depuis la pénurie de santal, le gouvernement régule drastiquement la production, les prix ont flambé et le bois se vend souvent sous le manteau. Un fournisseur du nord de l’Inde disait pouvoir s’en procurer de bonne qualité pour 2000 euros le kilo. Ici dans la boutique officielle, ils vendent l’huile à 6 000 euros le Kilo, (2500 roupies les 5 grammes). « Pourquoi achetez vous le santal d’Australie » ? me demandait ce même fournisseur indigné, « vous pourriez utiliser d’autres matières indiennes, le bois d’amyris, ou le thuya » (qui sent le cèdre avec une petite pointe crémeuse), « mais pas l’Australie qui n’a rien à voir avec notre santal ». C’est vrai que le santal de Mysore est particulièrement addictif et représente tellement de choses pour la communauté hindou qu’il est irremplaçable. L’Australie est sur ma route, je me ferai ma propre idée…
La petite boutique attenante à l’usine est fermée, nous allons donc à une sorte de pop-up store indien officiel, monté à l’occasion du festival de Dasara, (plus grande fête indienne et qui atteint son pic à Mysore).
C’est ici le temple des produits parfumés au santal. Je ramènerai un petit savon, histoire de (j’avais déjà acheté l’huile au prix fort la dernière fois) et boude les autres produits où on sent trop fortement les bois ambrés… Pure Sandalwood hein ? Je préfère rester sur le souvenir de la distillerie.