Une après-midi à La Paz : sucre, superstition, et marchés
14:00 nous avons rdv sur la place San Pedro en plein coeur de la ville. C’est d’ici que commence le free tour qui permet de visiter le centre historique de la ville.
–« Vous voulez du sucre ? » Si vous entendez cette phrase, ce n’est pas de douceur que l’on parle mais bien de drogue. La prison est tout contre la place, un simple petit mur doté de miradors sépare les touristes des prisonniers. L’établissement est prévu pour 400 personnes, mais 1500 personnes y vivent, travaillent, traficotent encore dans l’enceinte. Les prisonniers payent leur cellule et peuvent ainsi vivre avec leur famille (les plus riches trafiquants ont bien sûr plus d’espace que les pauvres). Bref une vie presque normale en attendant leur procès un an, cinq ans… parfois dix ans.
Les premières explications de la guide nous mettent vite dans l’ambiance locale…
La Paz est célèbre pour ses nombreux marchés, dont les produits sont tout aussi dépaysants que ses « cholitas », qui affichent fièrement leur culture indigène. Toutes ces femmes portent encore le costume traditionnel, fait d’un grand jupon à plusieurs couches afin de montrer de larges hanches (propices à faire des enfants), de grandes chaussettes cachant le mollet (partie considérée comme la plus sexy du corps ici) et plus récemment le fameux chapeau bolivien qui semble flotter sur leur tête. Une origine bien étonnante : les anglais venus travailler sur les chemins de fer avaient l’habitude de le porter. Un jour une cargaison est arrivée avec des chapeaux trop petits. Ils proposèrent aux femmes de compléter leurs tenues. -« Mais ils sont trop petits », s’étonnèrent-elles. -« C’est la dernière mode en Europe » leur a-t-on répondu ! Et depuis les petits chapeaux ne cessent d’orner leur coiffure tressée…
Que trouve-t-on sur les marchés ?
Ici, la pomme de terre est reine : on en compte plus de 400 variétés ! Blanches, jaunes, noires, farineuses ou légères, toutes peuvent être mangées à la main, trempées dans une petite sauce aux piments… C’est l’occasion de découvrir la relation avec sa casera (marchande de légumes) : chaque famille choisit sa casera et lui « doit » fidélité. Si la relation est suivie, la caseras donnera à la famille le « yapa », c’est à dire du rab, petits cadeaux réguliers qui scelleront la relation (plus efficace qu’une carte monop !).
Sur le marché, on trouve aussi quelques trouvailles : des fleurs d’hibiscus à infuser avec du sucre de canne et de la cannelle.
Ou des fruits incongrus comme le Chirimoya, souvent utilisé dans des milk shake (pas mauvais, un goût de pomme-cannelle avec un soupçon de poire).
Mais le plus étonnant reste à venir : nous arrivons au marché aux sorcières.
Effectivement mes enfants s’arrêtent net devant des bébés de lamas… séchés !
Les échoppes vendant quasiment les mêmes articles se succèdent : vins, alcools, breloques, encens, fleurs en offrandes embaument les ruelles.
« Pas de photo de personnes« , nous demande la guide, « n’oubliez pas que ce sont des sorcières ! » Ce qui nous fait gentiment sourire, nous laissera ensuite vite perplexes. Le christianisme amené par les espagnols n’a pas éradiqué les croyances originelles et les boliviens ont su intégrer les rites païens à leur catholicisme comme le montre les ornements de la cathédrale San Francisco mettant en scène Pachamama, la terre mère à la place de Marie.
Lorsqu’une personne prépare un projet important : mariage, achat, construction.., elle se rend au marché aux sorcières et consulte un « yateri », sorte de diseur de bon aventure qui choisit pour elle l’offrande la plus adaptée. Plus le projet est important, plus l’offrande est conséquente. Pachamama adore le vin, l’alcool, les sucreries, les fleurs (c’est bien une femme !). Par exemple, lorsqu’on construit une maison, il faut glisser dans les fondations un bébé lama, mort de cause naturelle, car Pachamama lui a déjà pris sa vie. Mais s’il s’agit d’un immeuble de plusieurs étages, le bébé lama ne suffit pas… Bien sûr, c’est interdit, personne ne vous dira qu’il a vu lui même le rite se faire mais il en aura entendu parler de loin, comme l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme… Comment expliquer autrement les corps retrouvés lors de travaux dans la ville ? La légende dit que pour les grands projets, les yateris se mettent en chasse de clochard. Se déguisant eux- mêmes en clochard, ils s’assurent que leur proie n’a plus de famille, plus de relations avec la société et le droguent avec de la coca et de l’alcool.
Le corps encore endormi est installé dans les fondations avant d’être enfermé à jamais dans le béton coulé. On dit que le building du gouvernement récemment construit sur la place principale renfermerait une dizaine de corps…
Herbes, alcool, sommeil éternel… comment ne pas penser aux rites incas vieux de 500 ans ? À Salta, nous avions visité le musée des momies retrouvées dans les volcans : des enfants de 6 à 16 ans, en parfait état de conservation, peau encore blanche, cheveux coiffés… Les enfants les plus beaux étaient en effet virtuellement mariés à d’autres enfants de communautés voisines afin d’allier les peuples. Après les cérémonies, les petits, toujours en costumes de fêtes, étaient conduits sur les hauteurs des volcans, où entre 5000 et 6000 mètres, ils s’endormaient de froid, après avoir ingéré breuvage d’alcool et de coca. Leurs mariages pouvaient se prolonger à jamais dans les cieux et assureraient une météo clémente aux récoltes…
Autres temps, autres mœurs ? Amis routards solitaires, si dans les rues de La Paz on vous propose un verre de pisco pour accompagner quelques feuilles de coca, déclinez, vous risquez de finir bétonné à côté de bébés lamas…