Faire du couch surfing est une expérience aléatoire, mais s’il y a un pays où il faut le faire, c’est bien l’Iran. Arrivés au petit matin du train de Téhéran, nous étions certainement encore trop endormis par notre besoin de confort pour saisir la chance que nous allions avoir : celle de faire une vraie rencontre.
Maria a 33 ans, elle vit à Shiraz, un petit peu en dehors du centre ville avec sa fille et l’homme à qui elle a été mariée. Elle fait du sport, du yoga, “parce que cela lui donne une énergie positive” explique-t-elle.
C’est ainsi qu’elle se présente lorsque je la soumets au petit test olfactif. Que ressent-elle sur chaque odeur ? Ces quelques évocations olfactives qu’elle me donnera le dernier soir, je ne les aurais jamais comprises si nous n’avions pas passé 2 jours à discuter avec elle, et à partager l’intimité de sa maison, dormant dans sa propre chambre.
Un cadre de photo de mariage trône dans son salon. Nous rigolons ensemble de sa tête d’enfant : “18 ans, j’étais si jeune… malheureusement ». – Pourquoi malheureusement? – Maria répond, sans trop faire attention à l’homme gentil mais silencieux qui regarde la télévision à côté d’elle. Il ne parle pas anglais et ne participe à nos conversations que lorsque Maria traduit en farsi. “Je l’ai connu une semaine avant notre mariage, je n’ai pas trop réfléchi, maintenant ce serait différent”. Un mariage arrangé, comme cela se pratique encore. Mais elle sourit, imaginant une vie parallèle ; il y a tant de choses que Maria rêve de faire : voir Paris dont elle collectionne les clins d’œil dans sa décoration, quitter son pays, sortir dans la rue avec les jambes nues, montrer ses cheveux décolorés.
“ Vous savez qu’on déjà essayé de fuir? nous raconte-t-elle avec un grand sourire. « On a fait faire de faux papiers, avec mon mari et une dizaine de personnes. On était censés être polonais. Mais lorsqu’on est arrivés en Turquie, manque de bol, je suis tombée à la douane sur quelqu’un qui parlait le polonais… Tous les autres étaient passés sauf moi. Finalement mon mari est repassé pour me rejoindre. On a fait une semaine de prison, puis on nous a renvoyés en Iran.” -« et tu n’as jamais essayé de recommencer?”. – “ Non, après j’ai eu ma fille, et j’ai commencé une nouvelle vie… Si je devais venir en France, il faudrait que je mette l’appartement en hypothèque, une garantie pour le gouvernement : si on ne revient pas au bout de 3 mois, ils prennent l’appartement. Sauf qu’il appartient à ma belle mère…”
“J’aime mon pays, j’aime ma culture mais le manque de libertés, c’est trop dur. Si tu ne portes pas le voile, tu te fais reprendre par la police ; si ton pantalon montre un peu tes chevilles, pareil. Si tu te fais prendre avec de l’alcool dehors, c’est 60 coups de bâtons. Mon beau-frère n’y croyait pas, il les a provoqués en sortant avec une bière dans la rue, il l’ont pris et il est rentré avec le dos en sang. C’est bien ça la punition, ils font ça pour qu’on le dise à tout le monde.”
Pas une pointe de dramatisation dans la voix de Maria, sa force c’est l’humour. Elle nous fait d’ailleurs bien rire en zappant sur les chaînes de la télévision iranienne : “des barbus, des hommes, des hommes barbus, des Mollahs, des tombes, beaucoup de tombes, parce qu’il faut faire peur et montrer qu’ « on travaille pour la vie future”, sauf que nous, c’est maintenant qu’on veut vivre !”
Ces deux jours sont passés à une vitesse folle, et les discussions avec Maria ont complètement éclipsé le reste, l’inconfort de dormir dans une petite chambre à 4, la gêne de “squatter” chez quelq’un qu’on ne connaît pas. “Vous vivez au Paradis” nous a répété plusieurs fois notre hôte. Pourvu qu’on ne l’oublie pas de retour en France…
Alors Maria déteste l’odeur de la rose parce que ça lui rappelle « l’odeur des mosquées ». L’odeur est toujours une question de vécu.