Cela grouille dans les rues autour de la Tour de l’horloge : après les heures chaudes, la vie reprend son animation klaxonneuse autour du marché. La ville est aussi appelée Suncity, ayant le plus grand tôt d’ensoleillement d’Inde. Ici tout le monde semble avoir quelquechose à vendre, les échoppes spécialisées proposent des produits de niche : une boutique de cadenas, une boutique de bracelets, une boutique de rubans à broder sur des saris. Il faut être assez habile pour profiter du spectacle tout en évitant les motos les tuc-tuc, ou encore les vaches.
Soudain, un moment de grâce : une petite fille apparaît, tenant un bouquet de ballons, prête à s’envoler du brouhaha.
Prendre de la hauteur, c’est ce qu’il faut ; se promener dans les ruelles environnantes aux couleurs délavées permet d’apprivoiser la ville à première vue fatigante. Le bleu, couleur des habitations des brahmanes, propose depuis le fort une vue sur une mer bleue de maisons, un océan dans le désert… Prendre l’air, respirer loin des odeurs de la ville qui offre une alternance frustrante d’odeurs divines et repoussantes : rose, savon, ail frit, diarrhée, chapati, santal, lessive, égouts. A peine cherche-t-on, narines grandes ouvertes, à savoir d’où provient une délicieuse effluve de curry, que celle-ci est immédiatement remplacée par une odeur de décharge. L’extase olfactive est brève.
À quelques pas de la place principale, on peut trouver des échoppes de parfums. Les vendeurs excités par une touriste en basse saison me sortent leurs plus beaux flacons où colle un fond d’huile poisseuse, tapé par le soleil. Que peuvent-ils vendre ? Et à qui ?
Le soir même nous dînons dans un restaurant niché sur un temple. Je raconte notre voyage au serveur qui dit connaître quelqu’un à me présenter : un fabricant de parfums qui a une boutique à l’écart des rues touristiques. Le rendez-vous est pris.
Chopra représente la 3 ème génération de la petite société familiale Adinath sales. Dans sa distillerie, il produit de la rose provenant de Pushkar et du vétiver. Sans prononcer une seule fois le mot parfumeur, il dit aussi faire les mélanges des « attars », ces huiles parfumées, sans alcool, pour respecter les principes de sa religion, le Jaïnisme. Car ici, la religion est au cœur des principes de beauté. Il nous explique en effet comment utiliser l’attar : pour vénérer les Dieux, plus que pour se parfumer.
Si vous avez comme moi une relation particulière avec le parfum et les cotons tige, vous allez adorer ce nouveau geste.
Faire une boule de coton et l’imprégner de l’huile parfumée. Faire sa petite prière et la présenter aux Dieux avant de la loger dans la cavité du cartilage de l’oreille, puis étaler sur les bras le surplus d’huile restée sur les mains. « Une offrande pour Dieu et un cadeau pour tout le monde » s’amuse Chopra. « Et comme ça ne tombe pas en prenant la douche, ça permet de se parfumer longtemps . »
Il vend aussi d’autres fleurs, qu’il ne produit pas mais qu’il « échange » avec d’autres confrères. Il me fait sentir la fleur de keora dont on boit l’eau de fleur comme l’eau de rose. La fleur de mogra, proche du jasmin et le chameli. Au bout d’un moment je lui fais remarquer « est-ce normal si je sens du santal dans vos fleurs ? » -« Effectivement, on met toujours la fleur dans l’huile de santal. Ça coûte moins cher, et en plus le santal a une propriété intéressante ».
Il me dépose une goutte de santal sur l’ongle à lécher. »le santal permet de mieux supporter la chaleur », « on le prend comme ça sur la langue ou sur un sucre, et comme c’est un peu amer, on termine par cela pour le goût « . Il me redépose une goutte sur l’ongle. Du café ! Le mélange santal-café est fantastique !
Et votre rose, comment est-elle ? Une variété différente de celle de « l’UP ». (Uttar Pradesh). Il existe environ 22 à 24 qualités de rose. Et cette année, la récolte a eu quelques insectes… -« Vous ne les traitez pas ? » -« We are Jaïns ! » Répond-il dans un éclat de rires : « We don’t kill insects »!
Pour faire bio, le jaïnisme a du bon…
D’autres ingrédients ont des fonctions liées à la religion, vous en saurez bientôt plus sur le Facebook de Robertet !